Building entourés de verdure

Les sociétés à mission cultivent un avenir durable : sont-elles dans le vert ?

Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants.

Antoine de Saint-Exupéry.

Cette citation illustre parfaitement la philosophie qui anime de plus en plus d’entreprises à travers le monde. Depuis l’adoption de la loi Pacte en 2019, la France a vu naître une nouvelle forme de gouvernance d’entreprise : les sociétés à mission. Ces entreprises ne se contentent plus de viser la rentabilité économique ; elles intègrent dans leurs statuts des objectifs sociaux et environnementaux ambitieux, inscrivant leur « raison d’être » au cœur de leur modèle d’affaires.

Aujourd’hui, avec 1595 sociétés à mission référencées en France, dont des géants tels que Danone, Aigle ou Yves Rocher, cette dynamique ne cesse de croître. Ces entreprises symbolisent une prise de conscience et une volonté de conjuguer performance économique et impact positif sur la société et l’environnement. Mais qu’est-ce qui pousse ces entreprises à s’engager ainsi ? Comment mesurent-elles leur succès ? Et, surtout, quelles sont les réelles retombées de ces engagements ?

Cet article propose de plonger au cœur de cette révolution verte en décryptant les motivations, les stratégies et les défis des sociétés à mission. Nous explorerons la diversité de leurs profils, les secteurs d’activité les plus représentés, et les moyens innovants qu’elles mettent en œuvre pour réduire leur empreinte écologique. En toile de fond, nous questionnerons la véritable portée de ces engagements : s’agit-il d’une réelle transformation ou d’un simple effet de mode ?

Les sociétés à mission : sont-elles dans le vert ?

1595 sociétés à mission référencées à ce jour !

AIGLE, DANONE, LA CAMIF, LEA NATURE, YVES ROCHER, LE SLIP FRANçAIS, ENEDIS… Ces marques à forte notoriété ont un point commun : elles ont inscrit leurs objectifs sociaux et environnementaux au sein de leur business model. Elles ont défini ou redéfini leur identité à travers leur « raison d’être » au sein de leurs statuts et sont devenues « sociétés à mission ».

La société à mission est une nouvelle forme juridique, définie dans la loi Pacte de 2019, qui permet d’intégrer les engagements sociaux et environnementaux dans les statuts de l’entreprise. L’entreprise à mission annonce alors publiquement en quoi ses objectifs sont conciliables avec l’intérêt général et le bien commun à travers sa « raison d’être ».

L’observatoire des entreprises à mission, dans son dernier rapport publié en mars 2024, annonce que 1490 sociétés à mission étaient référencées en France fin 2023, soit 376 nouvelles entreprises versus 2022 (+34%).

Et 105 nouvelles sociétés à mission se sont déjà déclarées depuis janvier 2024… La communauté des sociétés « à mission » ne cesse de s’élargir depuis la création du statut.

A la découverte des business models verts et éthiques : décryptage du profil des sociétés à mission

Une grande diversité d’entreprises a adopté ce nouveau statut. La taille des sociétés à mission reflète le tissu des entreprises françaises. Selon l’INSEE, 96% des entreprises françaises sont des micro-entreprises mais ne représentent que 18,4% des effectifs salariés. En 2023, comme les années passées, les micro-entreprises représentent toujours une part importante parmi les sociétés à mission (58%).

Nous dénombrons désormais 24 grandes entreprises devenues à mission avec 6 nouvelles grandes entreprises en 2023 : Clariane, Destia, Enedis, Groupe Coopératif SantéCité, LNA Santé et Teract. Ces grandes entreprises représentent désormais 82% des effectifs des entreprises à mission.

Différents secteurs d’activité sont représentés mais le secteur d’activité des Services prédomine. En effet, 79% des sociétés à mission relèvent des services et les 3 segments au sein de ce secteur les plus représentés sont :

  • Télécommunications-Informatique-Tech
  • Conseil en Stratégie et Transformation
  • Finance-Banque-Assurance

Le segment « Télécommunications-Informatique-Tech » compte 212 sociétés à mission soit 14,2% de l’ensemble des sociétés à mission référencées et, au sein de ce segment, l’informatique est le plus représenté !

Télécommunications-Informatique-Tech et sociétés à mission sont-ils conciliables ? Le Vert voit Rouge !

Selon l’Arcep, l’impact environnemental du numérique est en croissance. Le numérique représente 3 à 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et 2,5% de l’empreinte carbone national.

Le suréquipement des consommateurs, les data centers, les infrastructures réseaux, l’utilisation de l’intelligence artificielle… la consommation d’énergie unitaire de tous ces équipements et de ces technologies est effrayante.

Une étude Ademe-Arcep, publiée en mars 2023, indique que les émissions de gaz à effet de serre du numérique pourraient augmenter de 45% à horizon 2030, et tripler à horizon 2050 si aucune action n’est conduite pour limiter la croissance de l’impact du numérique sur l’environnement !

Source : Etude Ademe-Arcep : évaluation de l’empreinte environnementale du numérique

Evolution du scénario tendanciel de 4 indicateurs de l’impact environnemental du numérique (sur tout le cycle de vie)

Alerte rouge ! En quoi des entreprises sur le secteur de la Tech et de l’Informatique peuvent-elles être ou devenir des sociétés à impact positif ? En quoi peuvent-elles soutenir des actions en faveur de l’environnement tout en contribuant à sa détérioration ?

A titre d’exemples  de sociétés à mission sur ce secteur :

Groupe SIGMA, éditeur de logiciels, systèmes d’information et solutions cloud, société à mission depuis 2023, 700 collaborateurs, CA 74 millions €, déclare sa raison d’être « Apporter à notre écosystème des solutions numériques qui contribuent à un futur désirable dans lequel chacun et chacune trouve sa place » (https://www.sigma.fr/groupe/entreprise-a-mission/).

SAGEMCOM, entreprise française à rayonnement international, spécialisée dans les terminaux communicants à forte valeur ajoutée, +6500 collaborateurs, +3 milliards €, (https://www.sagemcom.com/fr), devient société à mission en 2022 dont la raison d’être est : « Partout dans le monde, grâce aux solutions innovantes conçues et fabriquées par nos équipes, nous permettons au plus grand nombre d’accéder au haut débit Internet, aux divertissements, et à une énergie maîtrisée ».

Energie maîtrisée… En effet, parmi les leviers d’actions pour réduire l’impact environnemental du numérique présentés dans l’étude Ademe-Arcep, l’éco-conception s’avère être une solution.

L’éco-conception des services numériques intègre les aspects environnementaux dès la conception et le développement de produits/services ayant pour objectif de réduire les impacts environnementaux tout au long de leur cycle de vie. Le mode de production de ces produits/services numériques doivent intégrer (Extrait de : https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/dossier-presse-Etude-Ademe-Arcep-lot3_mars2023.pdf) :

  • L’allongement de la durée de vie des équipements : meilleure conception, meilleure réparabilité, leur recyclage systématique en fin de vie…
  • L’optimisation des flux vidéo et leur adaptation systématique aux différents terminaux,
  • L’amélioration des performances énergétiques des équipements réseaux et de l’architecture des centres de données,
  • L’optimisation du codage sites et services numériques et la gestion des flux de données afin d’en limiter les impacts énergétiques…
  • Passage automatique d’un réseau mobile à un réseau (Wifi) quand cela est possible.

Les stratégies de performance durable de ces entreprises à mission nécessitent d’être analysées, évaluées afin d’examiner à la loupe les indicateurs derrière ces promesses.

La raison d’être d’une société à mission est une boussole pour se transformer et ne peut pas être un simple label de vertu.

Et transformer une promesse en réalité, n’est-ce pas le sens donné à l’engagement.

La mission au cœur de la transformation durable

Au terme de ce voyage au cœur des sociétés à mission, une évidence s’impose : ce statut est bien plus qu’une simple étiquette. C’est un véritable engagement, un pari audacieux pour concilier performance économique et impact positif. Mais la route est encore longue et semée d’embûches.

L’exemple du secteur  numérique est éloquent. Comment ces entreprises high-tech, dont l’empreinte environnementale ne cesse de croître, peuvent-elles devenir des champions de la durabilité ? Le défi est de taille, mais pas insurmontable. L’éco-conception, l’optimisation énergétique, le recyclage… autant de leviers à activer pour verdir leur modèle.

Mais au-delà des solutions techniques, c’est un changement de paradigme qui s’impose. Inscrire sa raison d’être dans ses statuts, c’est faire le choix d’une boussole éthique pour guider chaque décision. C’est placer l’intérêt général au cœur de sa stratégie, et non plus en périphérie. Un pari osé, qui bouscule les schémas traditionnels du capitalisme.

Alors, utopie ou révolution en marche ? L’avenir nous le dira. Mais une chose est sûre : les sociétés à mission tracent la voie d’un nouveau modèle, où l’entreprise n’est plus seulement un acteur économique, mais un moteur du changement sociétal. Un rôle exigeant, qui appelle à une transformation profonde et à une évaluation rigoureuse.

Car l’enjeu est de taille : restaurer la confiance entre l’entreprise et la société, en prouvant qu’un autre capitalisme est possible. Un capitalisme plus responsable, plus durable, plus humain. La promesse est belle, reste à la tenir. Aux sociétés à mission de relever le défi, en transformant leurs engagements en actions concrètes et mesurables.

Le mouvement ne fait que commencer, mais il est porteur d’espoir. Celui d’une économie réconciliée avec l’intérêt général, où la quête du profit ne se fait plus au détriment de la planète et des hommes. Un horizon vers lequel il nous faut tendre, ensemble, avec détermination et lucidité. Car c’est bien l’affaire de tous : entreprises, citoyens, pouvoirs publics… chacun a son rôle à jouer pour faire advenir cette révolution silencieuse.

Alors, prêts à relever le défi ?


Sources de lecture – Bibliographie :