Lorsque le vendeur prépare sa négociation, l’accent est mis sur la matrice des objectifs (plafond, réaliste, plancher) et sur les contreparties à demander en réponse aux demandes de concessions probables du client.
Il est essentiel d’intégrer aussi l’évaluation du rapport de forces pour pouvoir le cas échéant le rééquilibrer.
Le rapport de forces en négociation, c’est une comparaison du pouvoir entre le vendeur et le client sur sept facteurs principaux.
Commençons par un exemple : Vous avez déjà eu un premier RDV avec un prospect et vous lui avez transmis une offre commerciale. Vous le rencontrez à nouveau aujourd’hui pour lui présenter votre proposition de vive voix et l’argumenter. Très rapidement, votre prospect vous dit : « Votre solution est intéressante mais j’attends de vous un effort d’au moins 5% sur le prix compte tenu des volumes que nous souhaitons commander cette année ». Et il ajoute : « Vous n’êtes pas sans savoir que nous sommes le plus gros distributeur européen sur cette catégorie de produit et que nous avons consulté plusieurs de vos confrères ».
Vous êtes une PME et conclure cette affaire représenterait pour vous une très belle opportunité de développement commercial. Qu’allez-vous faire concrètement ?
Plusieurs réponses sont possibles : céder en acceptant partiellement ou totalement sa demande de concession, demander une contrepartie, refuser et tenter de remplacer sa demande d’effort par un autre point moins coûteux pour vous, différer votre réponse pour réfléchir en interne et revenir vers lui ensuite …
Quelle que soit votre réponse, vous sentez bien que le rapport de forces vous est défavorable et que votre réponse serait peut-être différente si le poids de votre prospect était moins important.
Cela signifie que celui qui a le pouvoir est davantage en capacité d’imposer ses conditions ou de refuser celles de l’autre.
Comment évaluer le rapport de forces en négociation commerciale ?
Sept facteurs permettent d’évaluer le rapport de forces : le poids, le choix, le temps, l’information, l’influence, la sanction et le pouvoir personnel.
Voyons les questions que le vendeur doit se poser en préparation pour évaluer le rapport de forces et savoir si ce dernier lui est favorable, défavorable ou équilibré.
1- Le Poids : Qui est le plus économiquement dépendant de l’autre ?
- Que pèse le client dans mes ventes (en termes de volume, CA, marge) ?
- Qu’est-ce que je pèse dans ses approvisionnements ?
- Quelles sont les perspectives de développement de notre activité avec lui ?
- Me pense-t-il capable de l’accompagner dans son développement ?
2- Le choix : Qui peut remplacer l’autre le plus facilement ?
- Quels sont mes concurrents (directs et indirects) sur l’affaire ?
- Combien sont-ils ?
- Quelles sont les possibilités de choix de mon client ? A-t-il des alternatives à ma solution ? Vers qui d’autres peut-il se tourner ?
3- Le temps : « Qui de nous deux est le plus pressé ? »
- Quel est l’urgence de son besoin ? Est-il pressé ou a-t-il le temps ?
- A-t-il suffisamment de temps pour consulter d’autres fournisseurs ?
- De mon côté, dois-je chercher à conclure rapidement ou à gagner du temps ?
4- L’information : « Qui de nous deux dispose le plus d’informations stratégiques ? »
- Quelles sont les informations que j’ai et que mon client ne possède pas (sur la technicité des produits, leurs performances, l’évolution des marchés, la concurrence, la réglementation …) ?
- Quelles sont celles que le client a et que je possède pas ?
- Comment lui montrer je suis l’expert ?
5- L’influence : “Qui de nous deux peut le plus “ouvrir ou fermer des portes” à l’autre ?”
- Qui sont les membres du groupe de décision ? Comment entrer en contact avec eux ? Avec quels arguments les convaincre ?
- Quel est le pouvoir réel de recommandation du client ? Quelle est sa sphère d’influence ?
6- La sanction : “Qui de nous deux est le plus impacté en cas de non-accord ?”
- Qu’est-ce que je perds en tant que vendeur si on ne fait pas affaire ensemble ? Qu’est-ce que lui perd ? Qui finalement perd plus que l’autre à ne pas travailler ensemble ?
- Quels sont les impacts pour l’un ou l’autre de rompre la relation ?
7- Le pouvoir personnel : « Qui de nous deux a le plus d’ascendance sur l’autre ? »
- Quelle est ma capacité personnelle à pouvoir l’influencer ?
- A-t-il l’ascendant sur moi ? en fonction de l’expérience, l’expertise, l’autorité naturelle de chacun ?
Ces sept facteurs permettent d’identifier les pouvoirs de l’un et de l’autre, c’est-à-dire les forces et les faiblesses respectives et d’établir la balance des pouvoirs.
Ils permettent au vendeur de mieux se positionner par rapport au client en sélectionnant et en organisant les arguments et contre-arguments à développer.
Comment rééquilibrer le rapport de forces lorsqu’il est défavorable au vendeur ?
Lorsque le rapport de forces est défavorable, le vendeur va tenter de le rééquilibrer et parfois même l’inverser. Voyons comment sur chaque pouvoir, il peut réagir.
Sur le poids :
Il doit disposer en amont d’une solution de rechange (BATNA), par exemple un ou plusieurs prospects équivalents dans son pipeline qui pourraient compenser le non-accord avec le prospect.
Plus la solution de repli du vendeur est solide, plus il pourra résister sur sa position et opposer un « Non » aux exigences du client.
Avoir un plan B relativise la peur de perdre une affaire et permet de négocier plus sereinement. Pour autant, si disposer d’une BATNA réduit la pression sur les épaules du vendeur et lui offre une porte de sortie en cas d’échec, elle n’inverse pas directement le rapport de forces sur cette négociation. Le vendeur devra actionner d’autres pouvoirs, notamment celui du choix et du pouvoir personnel.
Au-delà d’être plus gros et de chercher à obtenir de meilleures conditions, l’acheteur peut aussi évoquer le risque de dépendance économique du fournisseur et vouloir limiter ses approvisionnements ou de nouvelles affaires. C’est pour cette raison que le fournisseur doit diversifier son portefeuille en recherchant activement de nouveaux clients pour diminuer la part de son CA réalisé avec ce client.
Sur le choix :
Le vendeur doit d’abord s’assurer de l’adéquation de son offre et celles de ses confrères au cahier des charges du client. En mettant en avant ses avantages distinctifs, sa plus-value, ses différences, il va montrer que toutes les solutions ne sont pas équivalentes et faire douter le client.
Sur le temps :
Si le client n’est pas pressé dans sa prise de décision et souhaite prendre le temps de la réflexion, le vendeur doit rappeler les étapes du déploiement du projet et de sa mise en œuvre avec un rétroplanning et montrer que la prise de décision doit être imminente. Il peut aussi utiliser un accélérateur de décision (promotion limitée dans le temps, hausse tarifaire prochaine, disponibilité du produit ou des équipes …). A l’inverse, si le client est pressé, le vendeur peut chiffrer un coût supplémentaire ou réduire son champ d’intervention à ce qu’il est en capacité d’honorer (ne prendre qu’une partie du chantier par exemple).
Sur l’information :
Pour soutenir ses arguments, le vendeur doit être en possession d’informations externes récentes, précises, objectives et chiffrées sur le marché, les tendances, la concurrence et la réglementation.
Pour justifier le prix de sa solution ou une évolution tarifaire, il doit aussi rassembler des informations internes pour apporter un éclairage sur les différents éléments constitutifs de son prix et se montrer transparent en les partageant. Cela peut aussi être des résultats d’études de satisfaction, de tests techniques, d’études marketing.
Reconnu comme un expert, le vendeur va ainsi limiter la contradiction, être plus factuel et asseoir sa crédibilité.
Sur l’influence :
Le vendeur doit d’abord montrer sa capacité à pouvoir faire adhérer à sa solution l’ensemble des membres du groupe de décision – qu’il ne rencontre pas toujours – en proposant des bénéfices spécifiques pour chacun d’eux dans leur métier ou mission.
Il peut proposer au client de l’accompagner pour vendre en interne sa proposition.
Il peut aussi s’appuyer sur des partenariats stratégiques que noue son entreprise avec d’autres, une forte présence sur les réseaux sociaux, le fait d’être membre d’une association professionnelle influente, de participer à des évènements de la filière, d’être invité à des conférences, d’être associé à des travaux de recherche ou d’être interrogé pour donner sa vision.
Sur la sanction :
Le vendeur va montrer au client ce qu’il perd s’il ne retient pas sa solution en énumérant les besoins qui ne pourront pas être satisfaits, en particulier ceux pour lesquels il dispose d’avantages distinctifs ou de bénéfices forts.
Il peut mettre aussi l’accent sur l’opportunité manquée de diversifier ses fournisseurs et sécuriser ses approvisionnements.
Enfin pour faire réagir son client, le vendeur peut manifester son regret de ne pas pouvoir challenger le prestataire actuel et permettre une comparaison de la qualité des prestations.
Sur le pouvoir personnel :
Le vendeur doit se préparer mentalement pour ne pas se laisser intimider. Le client doit sentir que le vendeur arrive préparé à l’entretien et que le dossier a été travaillé.
La posture est professionnelle, il inspire confiance.
Pour limiter l’ascendance de l’un sur l’autre, le vendeur peut aussi proposer un travail en synergie pour coconstruire la solution ou sortir de l’impasse.
En conclusion, l’analyse de chacun de ces pouvoirs permet en préparation au vendeur de savoir en faveur de qui penche le rapport de forces.
Lors de l’entretien, lorsqu’un pouvoir est actionné par le client, le vendeur sait maintenant quels contre-arguments utiliser.
Reste à savoir maintenant comment votre client utilisera son pouvoir dans la négociation. Va-t-il s’en servir comme vous l’aviez imaginé ? Va-t-il exprimer davantage de pouvoir qu’il n’en a réellement ? Ou à l’inverse, le sous-utiliser ?