I. Le travail des acheteurs se complique.
Avec l’usage de l’IA, les réponses aux Appels d’offre sont plus difficiles à départager :
A première vue les propositions ont toutes l’air de qualité, il devient difficile d’écarter les moins bonnes réponses pour aboutir à une « short-list ».
Pis, le client reste sur sa faim car l’amélioration des offres profite surtout à celles qui auraient été éliminées en première intention et nettement moins aux meilleures.
Il faut un regard approfondi pour identifier que les propositions répondent très imparfaitement au besoin. Les arguments peuvent être très proches et même sur la forme, les diapositives créées avec Canva semblent provenir du même fichier souche.
Concrètement, le supplément d’attention que nécessite l’analyse des offres augmente le TCO (Total Cost of Ownership) et introduit implicitement une part d’arbitraire dans le choix du fournisseur.
Il est donc urgent de se demander comment un commercial peut rester au-dessus du lot avec l’IA et contre l’IA des concurrents ?
II. Connais-toi toi-même.
La première idée est que la différence se fera via les prompts. Bien conçus, ils apportent des résultats précis et originaux. Cependant, la rapide appropriation des bonnes pratiques réduit cet avantage, et un plateau pourrait être atteint rapidement.
Cela revient à essayer d’arriver avant les autres à une destination en ne comptant que sur notre capacité à saisir plus efficacement une adresse sur un GPS. Si on poursuit l’analogie, on note que c’est en ignorant ou en adaptant une consigne (par ex sortir à la prochaine sortie) que l’on s’offre la possibilité de surpasser les autres.
Enfin, il serait pertinent de mieux comprendre le fonctionnement de l’intelligence artificielle afin de transformer la gestion de ses faiblesses en un avantage concurrentiel.
III. Les apports possibles de l’IA dans la vente en BtoB
Les usages de l’IA varient en fonction des spécificités métiers. Des critères comme la taille du portefeuille client, la récurrence des achats ou encore la nature des produits vendus peuvent avoir un impact sur l’adoption de telle ou telle fonctionnalité.
On peut toutefois imaginer une généralisation des usages suivants :
1. Trop d’infos tue l’info
Qui dit personnalisation, dit possible surcharge de données ou données non pertinentes
L’IA peut analyser des volumes colossaux de données et c’est un de ses meilleurs atouts.
Toutefois, à force de chercher à tout personnaliser, l’entreprise et même l’utilisateur peuvent tomber dans le piège de la surcharge de données. À force de trop automatiser, on risque de perdre de vue l’objectif principal : proposer une expérience client de qualité.
2. Pour bien fonctionner l’IA a besoin de données qu’elle n’a pas le droit d’avoir
L’IA puise ses ressources dans des données parfois personnelles pour affiner ses recommandations et ses actions. Mais attention, ces données sont précieuses et doivent être traitées avec le plus grand soin. Le RGPD impose une gestion scrupuleuse de ces informations.
Le respect strict de ces règles, freine l’usage d’un certain nombre d’outils décrits ici (notamment ceux qui nécessitent l’enregistrement de conversations) et il est possible que cela devienne une zone grise qui sera exploitée par des commerciaux moins scrupuleux des règles.
3. Les propositions de l’IA s’appuient souvent sur des données saisies par des humains.
L’IA est en capacité à prédire des comportements clients avec une grande précision. Toutefois, cette puissance de prédiction repose sur des données, et si ces données sont erronées, l’IA peut émettre des recommandations inappropriées ou prendre des décisions commerciales maladroites.
De la même manière, des erreurs dans les données peuvent conduire à des recommandations inappropriées ou des décisions commerciales maladroites.
On relève l’histoire d’une équipe commerciale devait appliquer une grille tarifaire dépendant du volume d’achat potentiel d’un client. Imaginez dans ce cas les volumes potentiels saisis dans le CRM par des commerciaux voulant accéder à des offres commerciales plus compétitives.
Il est par conséquent essentiel de gérer convenablement ces données et qu’un contrôle humain, prévienne ou corrige les dérives potentielles.
4. L’argumentation « chirurgicale » est précise mais l’humain sait être chaleureux
Imaginez un directeur achats qui reçoit 50 courriels de prospection par semaine. 95 % d’entre eux sont des messages générés par IA, bien structurés, mais froids, impersonnels, mécaniques…Que se passe-t-il alors ?
Il les parcourt et les filtre de plus en plus vite. Il devient sensible à tout signe d’authenticité : Un courriel, un appel, un message LinkedIn qui semble réellement écrit pour lui, avec une compréhension précise de ses enjeux, une prise en compte sincère de son contexte, attire instantanément son attention.
L’IA a une capacité inégalée pour automatiser certaines tâches répétitives comme la gestion des prospects ou l’envoi de courriels. C’est un gain de temps indéniable. Cependant, tout ne peut pas être automatisé.
Tout l’enjeu réside dans l’art de savoir jusqu’où aller avec l’automatisation sans sacrifier la touche humaine qui fait la différence dans une relation commerciale.
5. Prendre en compte le subjectif
L’IA peut analyser des tonnes de données, générer des scénarios d’interactions possibles, mais elle n’est pas encore capable de saisir des éléments aussi subtils et contextuels comme un sourire nerveux ou une hésitation dans la voix. Ces petites indications non verbales sont des signaux faibles cruciaux que seuls les humains savent analyser pour ajuster leur discours. C’est dans ces moments-là que l’intuition entre en jeu pour détecter un besoin sous-jacent ou un blocage caché.
6. Même l’IA se trompe
L’IA commet des fautes récurrentes qu’on appelle « hallucinations » en voici certaines parmi les plus courantes :
6.1 Sources de données d’entraînement :
les modèles d’IA utilisent un très grand nombre de données au point qu’elles ne peuvent être vérifiées et peuvent être incorrectes ou pondérées trop fortement dans une certaine direction. Imaginez un modèle d’IA entraîné à écrire des cartes de voeux, mais que son ensemble de données d’apprentissage contient essentiellement des cartes d’anniversaire, ce que les développeurs ignorent. Il peut en résulter des messages heureux ou amusants dans des contextes inappropriés, comme dans le cas d’une invite pour écrire une carte de voeux de bon rétablissement.
6.2 Les données utilisées ne sont pas forcément à jour :
On relève notamment le cas de requêtes utilisant des données obsolètes (une personnalité qui a été promue à un poste visible n’apparait pas dans sa nouvelle fonction, Une loi nouvellement adoptée n’est pas prise en compte etc…
6.3 Absence d’expérience directe du monde physique :
les programmes d’IA actuels ne sont pas capables de détecter si une information est « vraie » ou « fausse » dans une réalité externe. L’IA quant à elle ne peut actuellement s’entraîner qu’à partir d’un contenu préexistant, et non directement dans l’univers physique. Elle a donc du mal à faire la différence entre les données exactes et les données inexactes, y compris dans ses propres réponses.
6.4 Difficulté à comprendre le contexte :
l’IA n’examine que des données littérales et peut ne pas comprendre le contexte culturel ou affectif, c’est pourquoi ses réponses ne sont pas toujours pertinentes. Le second degré, par exemple, peut dérouter.
6.5 Biais de sélection :
Les données d’entraînement peuvent s’appuyer sur des logiques qui ne sont pas réellement significatives, conduisant ainsi à des erreurs qui restent inaperçues jusqu’à ce que de nouvelles données soient reçues. C’est ce qui s’est produit pendant la pandémie de COVID-19 tandis que les modèles d’IA entraînés à partir d’analyses des imageries des patients atteints de COVID-19 dans les hôpitaux ont commencé à relever la police de texte utilisée par les différents hôpitaux pour finir par la considérer comme un indicateur du diagnostic de la COVID-19.
IV. les territoires d’excellence du commercial humain
Même avec les outils les plus avancés l’humain peut compter sur des atouts significatifs :
- Lire les dynamiques politiques et relationnelles
Une décision B to B se prend rarement sur le seul mérite technique. Savoir identifier les décideurs réels, les influenceurs silencieux, les résistances internes ou les enjeux d’ego, n’est pas bien perçu par l’IA. - Créer une relation de confiance
Les clients ne veulent pas seulement des réponses : ils veulent un interlocuteur crédible, qui comprend leurs contraintes et qui les accompagne dans leurs choix. Cette relation repose sur la cohérence, l’authenticité et l’écoute : des qualités profondément humaines. - Faire preuve de jugement contextuel
Deux situations apparemment similaires peuvent nécessiter deux réponses opposées. L’IA applique des modèles ; le commercial, lui, interprète. Il sait quand sortir du script. - Adapter le discours à la culture de l’interlocuteur
Ton, humour, tempo, références sectorielles : tout cela varie selon le pays, l’entreprise, le rôle ou la personnalité du client. Seul un humain peut naviguer avec finesse dans cette variabilité. - Innover
L’IA répète. L’humain innove : il propose une réunion inversée, une démonstration originale, une mise en scène qui marque les esprits. Il sort du cadre et peut développer une vision prospective. Pensez-vous que l’IA aurait pu souffler le discours de « I Have a dream.. » à Martin Luther King ?
En conclusion
L’apport de l’IA est considérable mais sa compréhension des requêtes reste souvent très littérale. Elle est sensible à la formulation exacte d’une demande et incapable de saisir des dynamiques implicites ou émotionnelles. Elle peut produire une réponse techniquement parfaite… mais qui tombe à côté de l’enjeu réel.
L’IA aide à mieux écrire, à mieux cibler, à mieux prédire. Mais ce qui déclenche vraiment la décision d’un client, ce sont des éléments que l’IA ne perçoit pas : confiance, intuition, alignement politique, et parfois… une simple impression.
Dans un univers B to B, où les décisions sont politiques, collectives, émotionnelles… c’est cette intelligence humaine qui fait toute la différence.
Les commerciaux les plus performants demain ne seront donc pas ceux qui se soumettront passivement à l’IA mais ceux qui sauront en prendre que le meilleur auront une longueur d’avance sur les autres.